Afrique : les albinos, ou la malédiction dans la peau

Clara Mazuir et Jean-Baptiste Goin
11 Mars 2013



Depuis 2000 et le début d'un semblant de recensement des exactions à l'encontre des albinos, 72 meurtres ont été dénombrés rien qu'en Tanzanie. Souvent doublés d'actes d'une cruauté barbare, ces crimes sont guidés par des croyances ancestrales encore ancrées dans les sociétés africaines traditionnelles.


Crédit Photo -- Feije Riemersma
Crédit Photo -- Feije Riemersma
« Je condamne avec la plus grande fermeté ces meurtres vicieux, commis dans des circonstances particulièrement horribles avec des démembrements, y compris visant des enfants, alors que les victimes sont vivantes ». Dans un communiqué daté du 5 mars, Navi Pillay, Haut commissaire des Nations unies aux droits de l'Homme, choisit ses mots pour ces crimes horrifiants qui sont liés directement à la sorcellerie. Depuis le début de l'année, quatre agressions contre des albinos ont été recensées, preuve d'une recrudescence de ces actes, malgré les quelques efforts faits pour les protéger.

« Violer une albinos pour guérir du sida »

Une personne sur 4000 est atteinte d'albinisme en Afrique. Adrienne Ntankeu, présidente et fondatrice de l'association ANIDA, « tous ensemble pour l'albinisme », et elle-même atteinte de la maladie, a accepté de se confier. Selon elle, si ce chiffre est aussi important, c'est, d'une part, car la population étant noire, la distinction se fait plus facilement, et d'autre part, à cause de la consanguinité. « Les familles se marient entre elles. Les albinos sont rejetés par les Africains, et se voient obligés de s'unir. Ainsi, leurs enfants sont porteurs du gène. » Pour comprendre ce phénomène, elle explique qu'il faut remonter à l'époque du colonialisme, et de l'esclavage. « Les colonisateurs ont traité les Africains comme des bêtes de foire, et ont ainsi attisé la haine de l'autre. » Or, les croyances africaines y sont pour beaucoup. « Certains Africains violent les femmes albinos pour guérir du sida. D'autres boivent leur sang, ou se servent de leur bras pour pêcher. »
Et les attaques ne sont pas anodines. Un bras est estimé à 2 000 dollars. Mariam Stanford, une albinos de 28 ans l'a confirmé. Victime d'une agression dans la régions du lac Victoria, selon elle, ses bras devaient rapporter plus de 4 000 dollars aux "barbares" qui l'ont violenté.

La répression sans la prévention

Pays le plus touché par ces crimes odieux, la Tanzanie a pris des mesures particulièrement punitive à l'encontre de leurs auteurs. Ainsi, depuis 2009, les assassins sont directement condamnés à la pendaison à mort, et les enfants albinos bénéficient d'une escorte policière pour se rendre à l'école ; certains ont même été équipés de téléphones portables afin de prévenir plus rapidement la police. Bien qu'illustrant une bonne volonté nécessaire des pouvoirs publiques locaux, tant le phénomène inquiète les organisations internationales et les associations, ces mesures ne règlent en rien la véritable origine du problème. Elles se trouvent également inefficaces tant le nombre de condamnation semble dérisoire face à un tel problème. Seulement cinq personnes ont été condamnées pour les 72 agressions recensées.
Adrienne Ntankeu précise que « la plupart des coupables ne sont pas sanctionnés, on finit par les libérer. » La loi n'est pas tout à fait appliquée, et elle rajoutera même :  « En Afrique, avec de l'argent, on peut tout faire. » Les pays les plus touchés : la Tanzanie, le Burundi, le Burkina Faso. La présidente de l'ANIDA avoue ne percevoir aucune aide provenant de l'Occident. Émue, elle se catégorise comme « un être faible ». Sa solution : « les albinos devraient se venger. La sensibilisation ne sert à rien, elle n'a pas d'impact. Nous devons prendre notre vie en main et combattre ces criminels. »

Preuve que le profond clivage entre victime et bourreau s'accentue, la loi du talion, dénuée de raison et de solutions pérennes semble avoir pris le pas sur la prévention et l'éducation. Même si dans certains pays où les albinos peuvent être considérés comme des « êtres sacrés » qu'il faut protéger, comme au Bénin, « la situation reste complexe et le sujet difficile » explique Pierre Gazagne, Consul général du Bénin à Lyon. Les préjugés sont encore tenaces et ajoutent de la peur à la souffrance pour les malades sans que les solutions apportées ne puissent laisser espérer à une amélioration prochaine de la situation. Malgré tout, certains pays comme le Sénégal se penchent plus vers la sensibilisation et l'éducation. Arame Gueye, représentante de l'Association nationale des Albinos du Sénégal, a noté le progrès du pays. « Les enseignants font beaucoup d'efforts, ils placent les élèves au premier rang, leur laissent du temps pour écrire. Les autres élèves aussi deviennent plus compréhensifs, ils sont au courant de la maladie. » L'association est parvenue à changer les mentalités en inscrivant ces enfants à l'école, et les dissuadant de mendier au soleil. Elle précise que cette haine reste « une peur de la différence, une ignorance. »

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1.Posté par Mathilde T. le 11/03/2013 18:27
" Les colonisateurs ont traité les Africains comme des bêtes de foire, et ont ainsi attiser* la haine de l'autre" -> attisé

"Victime d'une agression dans la régions du lac Victoria, selon elle, ses bras devaient rapportés* plus de 4 000 dollars aux "barbares" qui l'ont violentée." -> rapporter

je me permet de souligner deux petites fautes qui m'ont sauté aux yeux ;)
sinon, article très intéressant sur un sujet rarement abordé..!

2.Posté par Soleil Nya le 13/03/2013 03:35
...ça fait mal, mais ce n'est pas une fiction. C'est la vérité.

Il est temps d'agir tous ensemble pour arrêter ça.




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